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Karaté : le récital de Kenji Grillon

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Champion du monde individuel et par équipes en novembre dernier, le gamin de Bobigny est, du haut de ses 23 ans, le chef de file solide d’une nouvelle génération de karatékas français. Aux championnats d'Europe à Budapest, qui débutent jeudi 9 mai, il vise le titre. Rencontre avec un athlète doué et réfléchi.

La joie de Kenji Grillon, champion du monde des -84 kg en novembre 2012 à Paris.

Boudés des médias, ils sont peu nombreux, les karatékas, à avoir dépassé un tant soit peu le cadre de leur discipline depuis 40 ans que les championnats du monde existent. Le légendaire Dominique Valéra dans les années 70, l’enfant terrible Manu Pinda, double champion du monde en 1984 et 1988, le félin peroxydé Alex Biamonti à la fin des années 90, le Star Académicien Christophe Pinna, champion du monde en 2000… On peut objectivement les compter sur les doigts d’une seule main. Quitte à ne pas retranscrire le nom de quelques immenses champions de la discipline contenus dans le petit landerneau du karatégi, y compris celui de Yann Baillon, quadruple médaillé mondial et dernier champion du monde… en 2002. Dix ans déjà !

Kenji Grillon, champion du monde en novembre 2012 à Paris avec un karaté de haut vol et une tête bien faite en guise de CV, est-il le nouveau Biamonti ? Il a tout pour ça. L’intéressé, lui, ne fuit pas devant la question. Sa réplique est même aussi nette qu’un mawashi-geri « Je prends le flambeau et j’assume ! Une carrière, c’est fait de médailles et, quel que soit ton niveau de notoriété, il faut toujours que la compétition soit une priorité, au centre du projet. Mais, si personne n’est là pour les raconter… En 2013, ce sont les médias qui font ta reconnaissance, il faut en être conscient et faire cette partie du job aussi », assure cet étudiant en journalisme à Sportcom’, qui se verrait bien au milieu des micros et des caméras une fois sa mission achevée. « Lors de mes expériences en plateau à la télé et à la radio (Il fut notamment invité sur RMC Sports, France Ô et BeIn Sport suite à son titre mondial, NDLR), j’ai ressenti cette même adrénaline qu’avant le début d’une compétition. Je ne crois pas pouvoir retrouver ça en presse écrite. »

Un gyaku pour le journaliste, un ! Bonne élocution, belle gueule, un prénom « made in Japan » que l’on n’oublie pas dans les arts martiaux, Kenji Grillon, c’est une belle histoire, celle d’un grand champion qui s’éveille après avoir foulé ses premiers tapis en compagnie de son père Éric, gardien de gymnase à Bobigny. Un père présent juste ce qu’il faut, choisi comme sparring pour les échauffements. « C’est lui qui me dit: "Tu dois être un lion sur le tatami." Mais son message a toujours été clair : "Tu dois prendre du plaisir dans chaque chose" », insiste le combattant licencié à Garges-lès-Gonesse.

"Sa détermination était déjà remarquable"

L’exigence du jeune homme s’est révélée très tôt. À 13 ans, il prend déjà son sac et fait des allers-retours en RER D, entre Bobigny et Garges-lès-Gonesse. C’est Olivier Beaudry qui l’a incité à se confronter au meilleur niveau alors qu’il allait passer sa ceinture noire de… judo et qu’il n’était pas manchot sur le carré vert non plus. L’ancien champion d’Europe aujourd’hui entraîneur national se souvient : « Sa détermination était déjà remarquable, peu ordinaire. Il s’impose un gros volume d’entraînement, il comprend vite, y compris sur ce qui est important autour du karaté. Il fait attention à son alimentation, il est précis sur la préparation physique. Honnêtement, il m’a toujours impressionné par sa maturité et son autonomie. À 14 ans, il se comportait comme un gars de dix-huit. Cette détermination, cette conscience de pourquoi et comment il doit faire les choses ne l’ont jamais quitté. » Tant que ça ? « Franchement, il est exemplaire. Son investissement, j’ai parfois du mal à le demander à des jeunes qui galèrent financièrement, qui ne font pas –encore- un sport olympique… Lui, ne voit pas les choses comme ça. Il s’est dit : "Je construis et je grefferai autour de cette attitude et des médailles, en profitant des opportunités qui se présenteront pour faire du karaté un tremplin personnel et professionnel si ça veut bien sourire… (Silence). En fait, je crois qu’il a tout compris !", ajoute son mentor.

La confiance, ça se gagne

Kenji Grillon laisse exploser sa joie. En demies-finales des championnats du monde à Paris, il terrasse le Néerlandais Peterson. Photo: Florent Bouteiller

Double champion d’Europe cadets, champion du monde juniors, encore finaliste continental en juniors en 2008, intégré à l’équipe seniors dès les mois suivants, le jeune Grillon a été médaillé dans chaque grand championnat, en individuels ou en équipes depuis 2006, exception faite de 2010 – où il décrocha tout de même le titre de champion d’Europe des régions. Une pépite métisse aux origines martiniquaises –Kenji est d’ailleurs devenu l’ambassadeur de l’Île depuis quelques semaines, doublé d’un gendre idéal. Oui, mais il le dit lui-même : « La confiance, ça se gagne. » Depuis un an, tout s’est accéléré. Un changement de catégorie bien négocié des -75 kg vers les -84 kg pour décrocher une place de titulaire, quelques kilos de muscle en plus et une première médaille de bronze européenne individuelle en mai dernier à Ténérife, avant ce titre mondial, en novembre, ont fini de lui donner l’envergure qu’il s’interdisait encore de voir en lui-même. « J’appréhendais ce changement de catégorie, j’avais peur de perdre mon karaté », avoue-t-il. « Il a fallu qu’il devienne plus solide physiquement pour pouvoir projeter, l’une de ses grandes forces, sans se faire projeter lui-même. Mais, c’est vrai, gagner de la masse, trois à quatre kilos en quelques mois, c’était aussi le risque qu’il perde en explosivité et en mobilité », concède Olivier Beaudry.

Le physique, c’est l’affaire de Mathieu Cossou, tout à la fois son préparateur et son coéquipier en équipe, par ailleurs auteur du point décisif qui apporta le titre à la France à Bercy. « Kenji avait un déficit de force, mais ça, c’était avant. Il a progressé là aussi, passant de 75 kg à 90 kg au développé-couché tout en conservant sa vitesse. Pour bien comprendre, Kenji oscille aujourd’hui entre 78 kg et 82 kg mais continue à être aussi rapide que les meilleurs légers de l’équipe sur 100 m. » À Bercy, ses adversaires n’ont pas vu le ballon. Au bout, deux titres mondiaux en un championnat. « Cela a décuplé sa confiance en lui », souligne son entraîneur en équipe de France.

Marquer l’histoire

Séance d'autographes après sa victoire. Ph: Florent Bouteiller

Champion du monde, champion de France le week-end passé sans vraiment forcer son talent « mais après une grosse discussion après l’Open des Pays-Bas fin mars où il n’avait pas été bon, fatigué par les sollicitations notamment », reprend Beaudry, Grillon vise le triplé à partir de jeudi à Budapest où se tiennent les championnats d’Europe. « Peu de karatékas l’ont fait. Le dernier doit être Cécil Boulesnane, souligne, lucide, l’intéressé. » Le véritable projet ? « Il veut tous les titres jusqu’aux championnats du monde 2014 qui auront lieu en Allemagne. Car l’objectif ultime, c’est de le refaire dans dix-huit mois, pour marquer l’histoire », poursuit Beaudry.

Un combattant doué, travailleur, concerné par sa propre histoire qui a bien quelques failles où pourraient s’engouffrer ses concurrents, le Néerlandais Petersen, le Serbe Bitevic, l’Italien Loria, le Japonais Araga, l’Azéri Mammayev, le Turc Karamollaoglu ou le Grec Tzanos ? « Il a pris un telle envergure que je le vois inarrêtable, confie le pourtant expérimenté Mathieu Cossou. En plus, la pression, l’attente du public, ça lui plaît. » « Bien sûr, il peut avoir un jour sans. Mais désormais, il est libéré. Il a déjà conquis le plus beau titre et il n’a plus à envier ses adversaires. Il a juste à regarder devant, analyse Olivier Beaudry. De la confiance nait la prise de risque. Avec l’assurance, la peur s’efface, le meilleur de soi ressort. » A Kenji Grillon de le prouver ce week-end, en arrachant la couronne européenne.

Olivier Remy

Retrouvez @OlivierRemy sur Twitter

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Le palmarès de Kenji Grillon

* Champion du monde par équipes 2012

* Champion du monde 2012 en individuel en -84 kg

* 3e aux championnats d’Europe 2012 -84kg

* Champion d’Europe cadets 2006 et 2007 -70kg

* 3e Championnats d’Europe 2012 -84kg

* Champion du monde 2012 -84kg

* Champion du monde par équipes 2012

Un journaliste touche-à-tout

37 ans, judoka, souvent son kim’ sous le bras aux quatre coins de la planète, Olivier Remy aime kims, mais aussi mêlées et bonnes passes… et surtout le plaisir de « faire ensemble ». Journaliste au sein l’agence K.Éditions « une aventure print, web et vidéo » depuis 1998 après quelques années en tant que journaliste pour les magazines Le Foot, Le Sport et Le Journal du Football (Groupe Robert Lafont), il a couvert tous les grands championnats (Championnats d’Europe et du monde, Jeux olympiques) depuis près de quinze ans. Il est l’un des spécialistes du judo et du karaté en France en tant que rédacteur en chef du magazine de référence L’Esprit du Judo (www.lespritdjudo.com) et responsable de la rédaction d’Officiel Karaté Magazine (www.officielkaratemagazine.fr pour la version online). II collabore par ailleurs régulièrement à Rugby Mag ou à Athlétisme Magazine.


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